Caporal Machin-Chose, 3eme régiment
Le caporal Machin-Chose du 3eme régiment avait l'air ahuri. Les mais
jointes comme pour la prière, il avait niché son museau triste derrière
son grand col, timide comme un professeur le jour de la rentrée des
classes. Ses cheveux roux et fous étaient curieusement semblables à la
crinières crépue de Fanfreluche, son bellâtre d'âne. Quand ils
trottaient, les longues oreilles de la monture lui chatouillaient le
bout des cils et s'ils prenaient de la vitesse, elles l'aveuglaient
parfaitement. On avait pas vu destrier mieux assorti depuis don
Quichotte et Rossinante et d'ailleurs le caporal, avec son monocle en
bataille et son air chétif rappelait vaguement l'hidalgo de la Manche.
A
terre il avait l'air d'une marionnette dont on aurait trop tiré les
fils. Toujours emmitouflé entre son col remonté jusqu'aux oreilles et
son képi rabattu sur les yeux, il tremblait un peu et balbutiait les
ordres d'une voix nasillarde et enrhumée.
Il a l'air ailleurs, absent, distrait, le caporal Machin-Chose.
(Il aime les aquarelles à l'eau de rose.)
Chez
lui c'est tout p'tit et tout est brun. Ouvrez les placards, vous
trouverez du céleri, du riz et du rosée. Des carottes: c'est pour
Fanfreluche qui dédaigne les sucres. Trois verres, deux assiettes.
Personne ne sait s'il est marié, veuf ou célibataire; c'est une drôle
d'affaire. Il est gentil, en vrai, le caporal Machin-Chose. Il est
discret.
Aujourd'hui, il longe la caserne et il a l'air encore plus enfoui dans son uniforme. Il marche très vite en regardant partout autour de lui de ses petits yeux scrutateurs et tristes, et soudain, il semble plonger dans une rêverie profonde, absorbé loin du gris des murs. Fanfreluche s'inquiète. Il serait bien étonné de voir le sourire qui se cache derrière le col du caporal. Aujourd'hui, un bouquet de pissenlits avec un petit mot "Caporal Machin-Chose, troisième régiment" l'attendait gentiment, ficelé à sa boîte à lettres.
Caporal Machin-Chose, par Anouschkka